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FIGURES . DRATLER & DUTHOIT

Alsace Moselle Memorial . Schirmeck

FIGURES . DRATLER & DUTHOIT

Memorial building for the lost and killed people of Alsace Moselle during the second war.
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Monument mémoriel aux morts et disparus alsaciens et mosellans de la seconde guerre mondiale

Statut : voncours restreint / projet non retenu
Architectes et scénographes : FIGURES+DRATLER & DUTHOIT,
cheffe de projet : Eva Simon Thomas
Muséographes : KANTARA
Graphisme : STUDIO LEBLEU
Multimédia : Mardi 8
Structure : MCIS
Fluides : IMAEE
Economie : ECHOES
Acoustique : INGEMANSSON

 L'ANALYSE DU CONTEXTE ET DES ENJEUX DU PROJET

	Schirmeck et le Mémorial Alsace-Moselle œuvrent depuis plus de 20 ans au devoir de mémoire. Une lutte active pour que jamais l’on n’oublie et que l’on se souvienne que la guerre et les tensions entre les peuples peuvent ressurgir si l’on n’y prend pas garde. Que l’on se souvienne qu’un peuple, pris dans les affres géostratégiques, doit s’y soumettre. Et si l’individu à la possibilité de choisir son camp, c’est un choix au détriment de sa liberté, souvent au détriment de sa propre vie. 
La guerre, l’Alsace et la Moselle l’ont vu de près. Une guerre fratricide pour un peuple qui fut tantôt Allemand, tantôt Français. Un territoire à l’identité complexe, meurtrie par des choix et des intérêts qui le dépassent. Un territoire qui sait que l’Europe n’a pas toujours été là et que nos amis d’aujourd’hui ont pu être, durant un temps, nos ennemis… Le devoir de mémoire est là pour nous le rappeler, pour ne pas oublier les sacrifices, pour ne pas oublier les morts, pour ne pas oublier que la paix se travaille, se mérite et qu’il faut en prendre soin. 

Le site de Schirmeck où fut inauguré le 18 juin 2005 le Mémorial Alsace-Moselle est à lui seul un lieu de symboles, un résumé grandeur nature des caractéristiques du territoire. Ville à la croisée des chemins et à l’articulation des nombreuses forces géologiques, territoriales, sociologiques et historiques, nous avons affaire à un lieu de caractère. Riche de sens, d’attraits, mais également de contraintes et de problématiques. Nous sommes persuadés que c’est précisément ces ensembles de forces qui font d’un lieu, un lieu singulier et qui peuvent faire d’un projet, un beau projet. Nous sommes persuadés que c’est précisément dans cette complémentarité et dans ces ensembles de forces que le projet trouvera sa place, son sens et sa puissance évocatrice. 

Le site du Mémorial est fortement marqué par la déclivité et son long cheminement en « Z » qui permet d’atteindre la plateforme du musée. Ce cheminement est déjà un projet en soi, une première étape à la visite. Il s’agit d’un premier seuil pour les visiteurs. En surplomb l’architecture du Mémorial oscille entre massivité et légèreté, entre architecture terrestre et aérienne. Il se projette tout entier dans la vallée de la Bruche, le massif forestier et le camp de concentration du Struthof au loin. Face à ce bâtiment existant, nous avons recherché une proposition qui ne soit ni en réelle opposition ni en réel mimétisme. Les deux architectures doivent pouvoir évoluer et s’exprimer librement au travers d’un équilibre général.

L’étang en partie basse du site ne joue aujourd’hui qu’un faible rôle dans la solennité du site pas plus qu’il ne joue de rôle dans la scénographie du parcours mémoriel des visiteurs. Nous pensons qu’il convient de lui redonner du sens en tant que fragment de paysage en miniature, un espace dans lequel la vie s’épanouit saison après saison.Cette vie nous la voulons préserver, lui rendre hommage. Ce fut là le point de départ de notre réfection et qui nous a amené à nous poser les questions suivantes :
Comment créer un espace détaché et comment se tenir à distance des nuisances de notre monde moderne (vitesse, bruit,machine) afin de se recentrer sur le devoir de mémoire ? Commet créer un lieu où se croise la grande Histoire du monde avec les petites histoires des générations passées et futures ?
De ces questions, d’autres découlèrent. Le processus de projet s’est ainsi mis en route et les pierres pour construire notre réponse ont commencé à s’assembler.


LE PARTI-PRIS D’IMPLANTATION

	L’implantation dans le prolongement de l’étang et sur une partie plus ou moins plane dans ce site majoritairement en pente permet de ne pas briser en aval la visibilité du musée existant et de ne pas perturber les perspectives depuis la plateforme haute. Cette implantation permet d’offrir des ponctuations programmatiques, d’animer et d’enrichir le parcours des visiteurs. 

Notre projet d’emprise rectangulaire s’oriente Est-Ouest afin de suivre et d’épouser au mieux les courbes de niveau du site et ainsi d’éviter de lourds travaux de terrassement et de nivellement. 

Ce jeu altimétrique permet d’accrocher l’accès à notre projet au « 1er palier de retournement » du cheminement en « Z ». 

Nous souhaitions ainsi éviter la création d’un cheminement supplémentaire en partie basse entre l’étang et la voie de chemin de fer moins qualitative et qui risquait d’apporter de la confusion pour les visiteurs. Compte tenu de la largeur de l’accès, le croisement des flux entre les visiteurs ascendant et descendant - comme c’est le cas aujourd’hui - n’est aucunement problématique. Au contraire, la nécessité de se croiser les uns les autres, réunis sur un même chemin nous semble une symbolique forte et importante à conserver. 

En nous raccrochant au cheminement en « Z », nous assumons que ce nouveau monument fasse partie prenante du parcours des visiteurs. Il en constitue une étape supplémentaire qui permettra de mieux appréhender le Mémorial d’Alsace-Moselle en ajoutant une page à son histoire. 

La forme que nous proposons est une forme géométrique dite pure et harmonieuse afin de n’empiéter ni sur le discours architectural du musée existant ni sur les formes organiques du site naturel (végétation, pente du terrain, collines et vallée, montagnes...). Cette forme permet d’inscrire le projet de manière lisible, évidente et intemporelle un bâtiment dessiné par l’humain pour l’humain.


LES INTENTIONS EN MATIÈRE DE TRAITEMENT PAYSAGER ET NOTAMMENT L’ARTICULATION ENTRE LE BÂTIMENT ET L’ESPACE DE COMMÉMORATION EXTÉRIEUR

	L’ensemble du site est aujourd’hui une immense projection dans le paysage et dans la vallée. Les visiteurs se projettent dans le grand paysage, profitant de sa beauté,mais aussi de ses agitations.

Notre première intention, paysagère et architecturale, consiste en la création d’un espace dans l’espace. Un mini-monde,propice au recueillement, coupé du tumulte de la vallée qui permet aux visiteurs de se concentrer et de se recueillir.

Ainsi, espace de commémoration extérieur et bâtiment ne forment qu’un. Ils sont réunis dans un même geste, une même enceinte composée de blocs de grès levés. Arrachés à la terre, ils ont été déplacés pour être dressés, côte à côte dans un ordre qui n’est plus tout à fait le même qu’avant leur extraction. Cette enceinte d’une hauteur de 2,70m permet de se couper du bruit et du paysage environnant. Sans être trop imposante, elle protège et délimite clairement ce qui relève du monument mémoriel de ce qui relève du reste du site.

Le rythme des pleins et des vides et les très fins interstices entre les pierres expriment que bien qu’issues d’un même lieu,la séparation, même faible, persiste.L’épaisseur et la matérialité de cette périphérie permettent de créer un seuil dans le parcours et d’amener les visiteurs vers un degré de recueillement supplémentaire.

Qu’ils soient d’origine naturel (exemple :la Table des Géants au col du Valsberg entre l’Alsace et la Moselle) ou d’origine humaine (exemple : menhir dit « Large Stein »à Dorlisheim), cette enceinte de pierres dressées puise ses racines dans un passé où le mégalithisme a façonné le monde, un trait d’union aux différentes pages de l’Histoire de la plus ancienne à la plus récente.

Depuis le « 1er palier de retournement »du cheminement en « Z », nous proposons donc de faire entrer les visiteurs dans le monument par l’espace de commémoration extérieur. La position de l’accès ainsi que la surface allouée permettront de conserver une intimité entre une cérémonie et de potentiels visiteurs souhaitant entrer dans les espaces intérieurs en évitant tout croisement.

L’espace de commémoration extérieur est certes protégé mais non couvert. C’est un espace ouvert sur le ciel et la lumière, vivant au gré de la météo. Il est le positif du monument en tant que tel qui lui est refermé, introspectif et centré sur les espaces d’hommages collectif et individuels.

Une fois les visiteurs entrés dans l’enceinte,ils seront accueillis par un volume courbe. Ce dernier viendra guider de manière douce et protégée les visiteurs vers les sas d’entrée afin d’accéder aux espaces intérieurs. Le fonctionnement architectural et la scénographie du projet sont basés sur le cercle inscrit dans le carré si bien que les visiteurs seront libres d’entrer, de se déplacer et de sortir à leur guise en toute fluidité.


PARTI-PRIS ARCHITECTURAL

	Nous avons cherché le dessin d’une architecture à la fois sobre et solennelle, domestique et monumentale. Le projet présente depuis l’extérieur des lignes,des volumes, des limites, des jeux d’ombres et de lumières qui sont francs. À l’inverse, l’intérieur se définit par un espace circulaire,tout en courbe dans un jeu de pénombre et de clair-obscur. 

La symbolique du rond, du cercle, du centre marque fortement le projet. Ce monument est un lieu qui doit réunir, qui doit faire cohabiter,coexister. C’est un lieu où chaque catégorie de morts et disparus, chaque parcours individuel est l’égal de l’autre. Il n’y a pas de hiérarchie ni de sens de visite strictement défini. Les visiteurs créent leurs propres parcours dans des logiques de symétrie et d’équivalence. D’ailleurs, l’espace de commémoration extérieur représente la même surface que l’espace de commémoration intérieur. L’un est aussi important que l’autre. Nous revendiquons ici que l’architecture s’attache d’une certaine monumentalité. Telle une grotte, ou une crypte, elle revêt l’aspect d’un bouclier, d’une coquille, minérale et rugueuse, mais protectrice et durable.À l’image du devoir de mémoire, le projet doit traverser les décennies sans s’altérer.

À l’intérieur, au centre du cercle, subdivisé par 6 dalles rayonnantes se trouve l’espace pour l’hommage collectif. Les 6 dalles représentent les 5 catégories de disparus définies plus une catégorie« autre ». Elles se font face, supportant ensemble structurellement et symboliquement le poids de la toiture. Elles sont distinctes les unes des autres, mais traitées de manière similaire. Elles sont le support scénographique de projection des noms des morts et disparus,créant une immersion à 360° et encerclant le visiteur du poids de l’histoire.

Notre projet sera fortement visible depuis le long cheminement en « Z » comme depuis la plateforme du musée. La toiture devient une 5e façade elle-même support d’expression et de symbolique. Sur le toit de notre tumulus contemporain se trouvera un cairn lui aussi ré-interprété. Un tas de pierres que l’on utilise pour marquer le chemin et éviter de se perdre. Un tas de pierres pour enterrer et protéger nos morts. Une pièce de land art marquant à la fois le centre de ce lieu mémoriel et symbolisant, par la multitude de pierres déposées, les 45 000 morts et disparus. 

Sans être ostentatoire, notre projet dessine un ensemble que l’on souhaite fort, sensible et symbolique, une manière de prendre conscience du poids de l’Histoire.


INTENTIONS TECHNIQUES ET MATÉRIAUX

	Notre projet est marqué par l’utilisation de deux matériaux que sont le grès des Vosges et le béton. Tous deux seront déclinés selon différents usages, différentes matérialités,différentes finitions, différentes granulométries ou différentes surfaces.

Le grès

En utilisant le grès rose des Vosges, dont les affleurements se retrouvent à travers l’ensemble de l’Alsace et de la Moselle et dont son utilisation a toujours été en lien étroit avec le cadre bâti de la région, nous inscrivons définitivement le projet dans le territoire.

Schirmeck est en effet à proximité de diverses carrières d’exploitation du grès qui ont chacune leurs propres caractéristiques. Le grès est un matériau noble, durable, à faible empreinte carbone. Son utilisation est depuis longtemps ancrée dans l’architecture régionale.

La carrière de Rothbach (67), située à 90km,est la seule carrière dont le processus d’extraction permet de sortir de « giga-blocs ».Ces giga-blocs sont ensuite sciées par découpes parallèles afin d’obtenir des dalles d’épaisseur de 30 à 50cm pouvant mesurer3m de haut pour 1,8m de large. Ce sont ces dalles qui seront utilisées pour l’enceinte périphérique. Le gisement est assez varié offrant à cette enceinte une belle variété de nuances du beige vers le rose, d’aplats et de veinages. Les nuances entre surfaces brutes et sciées permettront de créer des jeux d’ombres et de matières.

En utilisant la matière brute et le processus d’extraction à minima sans processus de taille ni usinage, son utilisation est acceptable dans l’économie globale du projet. La capacité de production et la quantité disponible par la carrière garantissent la viabilité d’un approvisionnement local à l’échelle du projet.

La carrière la plus proche est celle de Champenay (67) à 12km du site. Cette carrière offre un grès qui a la particularité d’être très dense et non gélif. Son utilisation est idéale au sol notamment par le biais de pavés. Son processus d’extraction par explosion du front de roche génère beaucoup de déchets(petites pierres, agrégats…). Nous pourrons réutiliser ces déchets peu onéreux pour le cairn en toiture.

Nous voyons ce projet comme un moyen d’affirmer que savoir-faire, architecture contemporaine et matériaux locaux peuvent se réunir, dialoguer et construire ensemble le futur patrimoine de demain. Il s’agît d’un triptyque vertueux qui participe au dynamisme du bassin région social et économique régional.

Le béton

Le projet fait appel au béton pour ses qualités structurelles notamment sa plasticité à la réalisation de murs courbes et de dalles.Il permet de conserver cette minéralité souhaitée sur le projet. Afin de l’anoblir, nous proposons de le teinter avec des pigments,de jouer sur les méthodes de coulage et de sabler les surfaces afin de le faire dialoguer avec le grès de l’enceinte.

L’acier

L’acier est utilisé comme support de scénographie. Différents aspects de surfaces et de traitements sont envisagés afin de répondre aux différentes ambiances scénographiques. 

Les faces des 6 dalles seront d’aspect mat et lisse comme support de projection sur lesquelles les noms des morts et disparus seront projetés. Il s’agît d’évoquer la symbolique de durabilité et de dignité des plaques en bronze gravées que l’on retrouve fréquemment dans ce type de monument tout en permettant l’évolutivité grâce au numérique. 

Les faces arrières dédiées à l’hommage individuel, seront elles aussi d’aspect mat et lisse. Les supports scénographiques (textes) seront découpés et rétroéclairés pour permettre la lecture dans une ambiance plus sombre et intimiste. L’outil interactif y sera incrusté. 

Les 2 côtés des 6 dalles pourront être d’aspect plus texturé et brillant, servant de support d’informations supplémentaires lors de la circonvolution des visiteurs.

Thermique

Notre conception frugale permet de faire appel à des techniques multimédias nous évitant de chauffer et de climatiser les salles d’accueil. 
Les variations climatiques font partie de l’aspect scénographique et solennel au même titre que dans une église ou autre monument.